" C'est pas un métier pour une fille"
Me dit mon père d'un air fâché.
"Où as tu pris cette lubie
De devenir batelier ?
C'est un vrai métier de galère
C'est une peine de forçat
De mener une sapinière
Vingt tonnes à la force des bras"
" C'est de vous voir, vous, mon père Debout comme un fier chevalier,
Quand vous menez la sapinière
Sur les rapides de l'Allier.
D'Issoire jusqu'à la Capitale
Pour emportez les bons produits
Ceux de notre Auvergne natale
Pour les vendre aux gens de Paris
Je suis tout comme vous mon père
J'aime de tout coeur cet Allier
Je suis une fille de la Rivière
Je veux devenir batelier »
.... Mais là un homme est apparu
"Parton, je viens pour vous chercher
Par Dieu, la rivière est en crue
Il nous faut vite assomeiller •"...
.......
Mais aujourd'hui je suis en peine Je pleure mon père regretté
En franchissant la Madeleine
Un tourbillon l'a emporté
Et je comprends mieux sa méfiance
Quand il me disait l'air funeux :
"C'est pas que je n'ai pas confiance
Mais pour toi c'est trop dangereux"
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Regarde-moi, toi la rivière
Qui fis mes Joies et mon malheur
Je suis une vraie batelière
Je vais appareiller sur l'heure
Oui, je relève le flambeau
Entre nous deux, c'est à la mort
Je vais emporter sur ton dos
Cette sapinière à bon port
J'ai du blé, prés de deux cents sacs
De Volvic, les belles pierres
Le reste en charbon de Brassac
Trois caisses de couteaux de Thiers
Hardi ! les gars, qui veulent me suivre
Bloquez les bourdes aux arrosoirs
Chargez tout le fret et les vivres
Nous serons à Moulins ce soir.
Regardez-moi, gens de la Terre !
Vous qui avez si peur de l'eau
Je suis la fille batelière
Et je transporte au gré des flots
La cargaison de feu mon père
Sur cette rivière en furie
Oui, je conduis sa sapinière
A Notre-dame de Paris
Après les passages rapides Sous l'oeil du milan criard
L'eau deviendra bien moins limpide
Sur le canal de Briard
Passant la nuit dans les auberges
Les hommes pourront s'amuser
Tandis qu' amarrés à la berge
Les bateaux sembleront danser.
Arrivé à la Capitale
Tout le chargement partira
Chez les grossistes, sur les étales
Et le charbon chez les bougnats
Le bateau sera démonté
En charpente ou bois de chauffage
Alors on reviendra à pied
Par les grands chemins de halage
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.......
Vous qui vivez bien après moi
Je suis sûre, j'en fais le pari
Que s'il me fallait près d'un mois
Pour descendre jusqu'à Paris
Avec vos maudits transports
Chemins de fer ou je ne sais quoi
Que vous arrivr'ez à bon port
Er deux heures, peut être trois
A vous, les humains du futur Lorsque vous vous déplacerez
Dans des vaisseaux contre nature
Toujours tristes et toujours pressés
Certes, voyagez en confiance
En confort, en sécurité
Aux petits soins, plein assistance
Bien protégés, bien dorlotés
Mais vous ne connaîtrez jamais Les richesses de ma rivière
Le grand frisson des peupliers
Sous le doux chant des lavandières
Les bancs de brume qui s'étirent
Le vol du héron cendré
La pluie froide qui vous déchire
Ce que mon père a tant aimé
Jamais vous n'aurez les parfums Des blés murs au vent de l'été
Certes mon cher père est défunt
Mais il vécut en liberté
Être vivant c'est se saouler
De ce bonheur qui vous enivre
Être vivant, c'est voyager
En partageant sa joie de vivre.
Assomeiller : Appareiller pour la navigation fluviale
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Gilles Avnl 2005